Les émotions sont le carburant de la diffusion mémétique. Exemple de la haine: Suicide social d’Orelsan et le Raptor Dissident

C’est en lisant le premier chapitre de « La patience du diable » de Maxime Chattam que j’ai découvert pour la première fois Suicide social d’Orelsan:

Et je trouve encore aujourd’hui que la mise en scène de cette introduction est remarquable, dans l’intensité de sa violence, qui fascine comme un incendie, à un niveau purement esthétique (indépendamment de l’éthique).
Dans cette scène, deux adolescents réalisent une tuerie de masse dans un TGV, en écoutant avec leurs écouteurs la musique d’Orelsan en boucle. Du coup, pour me mettre dans l’ambiance du texte, je me suis imprégné de la musique pendant la lecture, pour me mettre dans la peau des tueurs, partager leurs émotions, bref, m’évader en incarnant les personnages, ce qui est un peu le principe de la lecture.


Même ceux de mes amis qui ont le rap en aversion, ont tendance à apprécier cette chanson pour son texte et la puissance des émotions qu’elle véhicule. C’est dire.

Aujourd’hui, il m’arrive encore par moments d’écouter la musique en chantant par dessus d’une manière un peu cathartique, pour décharger la haine que je peux avoir en moi. Par exemple en voiture. C’est un peu l’équivalent de taper dans un punching ball.
Toutefois, mon regard sur la chanson a beaucoup changé depuis quelques mois, parce que j’ai compris un truc sur cette chanson, et sur la raison pour laquelle moi et certains de mes amis l’ont appréciée, alors que la chanson était souvent vivement critiquée par d’autres, et par certains militants des les luttes sociales (qui à l’époque me laissaient un peu perplexe, d’ailleurs.)

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La jubilation de la haine en tant qu’HSBC

« On fait ou on ne fait pas quelque chose, purement et simplement selon des règles émotionnelles » Arnaud Aubert

Je retire un plaisir exquis des paroles de suicide social, quand je me place depuis ma tour d’ivoire à juger le monde, en me prenant pour Dieu (ce qui correspond en CNV a avoir un langage chacal, mais c’est un autre sujet).

A travers mon parcours biographique, comme tout le monde, je me suis construit une identité, et je juge le monde depuis cette identité. Et c’est parce que mon identité sociale est vaguement similaire à celle d’Orelsan (en terme de groupe d’appartenance) qu’on peut se rejoindre tous les deux, et entrer en résonance à travers la haine, qui permet de diffuser tous ces stéréotypes à travers les émotions fortes qu’ils font ressentir aux gens comme Orelsan et moi. C’est à dire, typiquement, être un homme blanc hétéro cisgenre (HSBC) anticapitaliste de « classe moyenne ». 

Après coup, cela me semble tellement évident que mon regard sur la chanson a totalement changé. Je suis toujours capable d’apprécier les paroles, mais je n’ai plus le même rapport à cette haine, car je ne m’y identifie plus. J’ai compris que cette haine était le produit de conditionnements sociaux et qu’ils n’étaient pas ce que je suis vraiment. Qu’elle n’était qu’une narration, une histoire que je me raconte.

D’ailleurs, cela m’a également permis de comprendre que mon groupe social d’appartenance était globalement homogène: je suis moi même HSBC entouré d’autres HSBC. Nous sommes des blancs de « classe moyenne », bercés à la pop culture, avec un côté geek et non politisés, qui représente en fait rien de moins que la majorité de la population française, voir de la population occidentale.
Dès lors, on comprend mieux le succès de Suicide Social en occident: il est facile pour beaucoup d’entre nous de s’identifier à la structure de sens portée par les paroles, puisqu’il est très facile de laisser s’exprimer le chacal qui est en nous, le langage du conditionnement et donc de la violence.

Par essence, les clichés sont de la pensée en conserve, du prêt à penser, autrement dit, des mèmes extrêmement viraux et efficaces pour se diffuser…
En écoutant la chanson, on peut dors et déjà dessiner les contours du mèmeplexe que représente le « personnage » de la chanson: C’est un jeune hétéro cis, plutôt conservateur et opposé au système capitaliste. Ainsi, tous les gens qui correspondent à ce profil s’identifieront très facilement au personnage de la chanson, et pourront jubiler avec lui, « hurler avec le loup ».

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Quelques exemples du texte qui illustrent la posture HSBC du texte d’Orelsan.

 

La haine de la bourgeoisie (anticapitalisme):

« Adieu les représentants grassouillets, qui boivent jamais d’eau comme s’ils ne voulaient pas se mouiller
[…]
Adieu les jeunes cadres fraîchement diplômés, qu’empileraient les cadavres pour arriver jusqu’au sommet
Adieu tous ces grands PDG, essaie d’ouvrir ton parachute doré quand tu te fais défenestrer. Ils font leur beurre sur des salariés désespérés, et jouent les vierges effarouchées quand ils se font séquestrer
Tous ces fils de quelqu’un, Ces fils d’une pute snob, qui partagent les trois quarts des richesses du globe. Adieu les petits patrons, Ces beaufs embourgeoisés
Qui grattent des RTT pour payer leurs vacances d’été
[…]
Adieu les fils de bourges, q
ui possèdent tout mais ne savent pas quoi en faire. Donne leur l’Eden ils t’en font un Enfer.
Adieu tous ces gens prétentieux dans la capitale, qui essaient de prouver qu’ils valent mieux que toi chaque fois qu’ils te parlent. Tous ces connards dans la pub, dans la finance dans la com’, dans la télé, dans la musique, dans la mode
Ces Parisiens, jamais contents, médisants, faussement cultivés, à peine intelligents
Ces répliquant qui pensent avoir le monopole du bon goût, qui regardent la province d’un œil méprisant »

Il ressort de ces extraits un certain mépris de classe envers un groupe auquel le personne ne s’identifie pas, qui est le bourgeois, que ce soit par envie ou par mépris.

Je me suis moi-même retrouvé dans cette haine « des riches », clamant par moments qu’il ne suffit pas d’avoir un capital économique pour avoir de l’esprit et de la sensibilité. Ou en référence à certains parisiens que j’ai pu côtoyer, que la seule chose pire que l’ignorance est l’illusion de la connaissance. Et que « ces connards » sont tellement bouffis de certitudes qu’ils en deviennent aveugles à la réalité telle qu’elle est. « Ces connards » déconnectés du réel mais hyper connectés au virtuel qui préfèrent croire leurs graphiques que les gens dans la rue, ces « cyniques élitistes » qui sacralisent le livre, qui jugent les provinciaux comme étant des moutons incapables de penser, qui ne valent pas la peine d’être éduqués et qu’il vaut mieux contraindre par la loi à se faire vacciner plutôt que de leur expliquer les bases de la vaccination.
Qui critiquent les prolos qui bouffent des pattes en jouant à la PS4, alors qu’ils sont eux même tellement occupés à s’acheter le dernier iPhone et à faire l’ouverture des soldes deux fois par ans.

La haine du prolétariat:

« Adieu les ouvriers, ces produits périmés. C’est la loi du marché, mon pote, t’es bon qu’à te faire virer. Ça t’empêchera d’engraisser ta gamine affreuse, qui se fera sauter par un pompier, qui va finir coiffeuse
[…]
Adieu la campagne et ses familles crasseuses, proches du porc au point d’attraper la fièvre aphteuse. Toutes ces vieilles, ces commères qui se bouffent entre elles, ces vieux radins et leurs économies de bouts de chandelles.
Adieu cette France profonde: Profondément stupide, cupide, inutile, putride
C’est fini, vous êtes en retard d’un siècle, plus personne n’a besoin de vos bandes d’incestes
[…]
Adieu ces nouveaux fascistes, qui justifient leurs vies de merde par des idéaux racistes. Devenu néo-nazis parce que t’avais aucune passion… au lieu de jouer les SS, trouve une occupation
[…]
Adieu les piranhas dans leur banlieue, qui voient pas plus loin que le bout de leur haine au point qu’ils se bouffent entre eux. Qui deviennent agressifs une fois qu’ils sont à 12 : seuls ils lèveraient pas le petit doigt dans un combat de pouce

[…]

Bêh, tous ces moutons pathétiques, change une fonction dans leur logiciel, ils se mettent au chômage technique. Á peu près le même Q.I. que ces saletés de flics
Qui savent pas construire une phrase en dehors de leur sales répliques
[…]
Adieu les poivrots qui rentrent jamais chez eux, q
ui préfèrent se faire enculer par la Française des Jeux
[…]

Adieu les sans papiers, les clochards, tous ces tas de déchets

Puisqu’il s’identifie à la classe moyenne, le personnage refuse d’être assimilé à ces « sales pauvres » que sont les prolétaires, parce que cela lui renverrai une image narcissiquement dévalorisante de lui même, ce qu’il ne peut pas accepter malgré toute sa haine de lui-même, ce qui est intelligemment illustré ici entre 5min56 et 7min50:

 

Identification à la classe « moyenne » avec ses « petits » problèmes:

« Adieu les jeunes moyens, les pires de tous, ces baltringues supportent pas la moindre petite secousse
[…]
Adieu ma nation, tous ces incapables dans les administrations, c
es rois de l’inaction, avec leur bâtiments qui donnent envie de vomir
Qui font exprès d’ouvrir à des heures où personne peut venir
[…]

Adieu ces pseudo-artistes engagés, pleins de banalités démagogues dans la trachée
Écouter des chanteurs faire la morale ça me fait chier, essaie d’écrire des bonnes paroles avant de la prêcher. »

Curieusement, ici j’ai l’impression que c’est lui-même qu’Orelsan critique. Un jeune moyen, comme les autres, qui n’a rien d’exceptionnel. D’ailleurs, il n’a rien de particulier à dire dessus, si ce n’est que ce sont « les pires de tous ». Ce qui rejoint mon idée que « toute haine d’autrui part de la haine de soi », et que « le personnage » d’Orelsan, qui verbalise ici sa haine des autres, ne fait en fait qu’exprimer la haine qu’il ressent envers lui même. Car il y a un truc a savoir avec la haine, c’est qu’elle détruit celui qui la ressent, et non l’objet vers lequel elle est dirigée. 

Il s’identifie à la classe moyenne parce que c’est à cette classe que la plupart des gens s’identifient, qui n’est qu’une représentation mentale visant à donner un sens à ce qui est, mais surtout, à se construire une identité satisfaisante qui ne soit pas trop en conflit avec ce qui est: Non, le personnage ne peut pas s’identifier à un riche (ce pourquoi il les déteste, peut-être), et il refuse de s’identifier aux pauvres puisque cela impliquerait une dévalorisation narcissique de lui-même, comme c’est le cas quand on est de droite, qu’on croit au libre arbitre et au mérite. Reste donc la classe moyenne, ce flou conceptuel ou l’on peut mettre ce qu’on veut, donc ce qui nous convient.

Haine de la gauche:

« Adieu les grévistes et leur CGT, qui passent moins de temps à chercher des solutions que des slogans pétés. Qui fouettent la défaite du survêt’ au visage
Transforment n’importe quelle manif’ en fête au village
[…]

Adieu, ces associations bien-pensantes, ces dictateurs de la bonne conscience
Bien contents qu’on leur fasse du tort, c‘est à celui qui condamnera le plus fort
[…]
Adieu les hippies leur naïveté qui changera rien »

Le personnage critique ici les luttes sociales et les revendications populaires, cet optimisme de gauche à changer le monde qui est perçue par la droite comme une naïveté dangereuse et bonne enfant.
Cette critique de la gauche et sa volonté de changement, nous conduit directement à une mise en évidence du conservatisme des valeurs de la droite, qui suit.

Transphobie et hétéro-normativité:

« Adieu lesbiennes refoulées, surexcitées, qui cherchent dans leur féminité une raison d’exister. Adieu ceux qui vivent à travers leur sexualité. Danser sur des chariots, c’est ça votre fierté?
Les Bisounours et leur pouvoir de l’arc-en-ciel, qui voudraient me faire croire qu’être hétéro c’est à l’ancienne. Tellement, tellement susceptibles… pour prouver que t’es pas homophobe faudra bientôt que tu suces des types.
[…]
Adieu les SM, libertins et tous ces gens malsains »

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On constate donc une grande synergie entre ces différentes notions, qui forment ensemble un mèmeplexe très viral, incarné par le personnage de suicide social:

hétérosexualité et hétéronormativité (ce qui est différent de la norme statistique est une erreur, un accident, un dysfonctionnement anormal), issu du biais cognitif d’appel à la nature. Cela inclut par ailleurs un rejet de toutes les minorités sociales, tout ce qui semble étranger et donc douteux, voir dangereux ou pathologique, avec les conséquences que l’on sait sur le comportement, parfois tellement ordinaires qu’elles en deviennent inconscientes: Transphobie, grossophobie, racisme, validisme…
Conservatisme de droite: Le changement vers l’inconnu est source d’angoisse, mieux vaut conserver et améliorer ce qu’on connait déjà et que l’on contrôle, plutôt que risquer un changement profond sans savoir si ce qui suivra sera meilleur ou pire. Ca fout les fouettes, le changement ! Des fois que je perdes les privilèges que je mérite, pour lesquels j’ai travaillé si dur, et que ce que je possède soit refilé aux sales pauvres…
– Hiérarchisation patriarcale de la société et des ménages: Sexisme et culture du viol: La société doit s’organiser autour du phallus, et la femme doit être au service du phallus. Cela forme tout un écosystème complexe, ou les institutions elles-même deviennent le reflet des croyances de leurs fondateurs.
– Haine des riches: Elle prend racine dans l’envie, dans le sentiment d’injustice face au fait de ne pas avoir ce que d’autres ont, bref dans le refus chronique de ce qui est. C’est sur ce sentiment que s’appuie Macron quand il dit « il faut que les jeunes aient envie de devenir millionnaires ». Il s’appuie sur l’envie et l’appât du gain, comme si ces valeurs étaient le socle sur lequel on pouvait fonder une société….
– Anticapitalisme: La chanson est dans son ensemble une critique du néolibéralisme et de la marchandisation de l’humain comme chaire à canon au service du capital. En gros, c’est une chanson écrite depuis un point de vue prolétaire.
– Haine de soi: Entretenir la rhétorique du juge et de la victime dans les dialogues intérieurs, avec l’idée que l’on est responsable de ses actes, et donc que l’on est coupable, chaque fois que l’on est moins que parfait. Donc que l’on doit se punir pour avoir fait quelque chose de mal.

Le fait que ce mèmeplexe soit si efficace a une conséquence évidente, c’est qu’il est adopté par beaucoup de gens. C’est pourquoi ce sont les mêmes patterns, les mêmes structures de sens que l’on retrouve chez la majorité des gens. Ce sont les idées les plus efficaces pour se reproduire, celles qui sont les plus répandues dans le pool mémique occidental.
En fait, c’est contre cette structure de sens que se confronte l’extrême gauche, en tant que volonté de changer la structure de sens elle-même. C’est ce conflit fondamental que les discours de Macron tend à masquer derrière un discours brillamment structuré:

L’ennui étant qu’a entrer en confrontation directe avec un paradigme (ou structure de sens qui permet de se construire une représentation cohérente du monde), à critiquer directement les idées pour « donner tort », on ne fait qu’amplifier le processus de réplication du mèmeplexe. 

 

La coopération implicite des « HSBC » et des « SJW » dans le processus viral de réplication et de diffusion

Comme Science4all l’illustre brillamment dans sa vidéo sur les mutations virales des convictions, le meilleur moyen de se diffuser est de se faire un ennemi. Un super méchant n’est jamais aussi célèbre que quand il affronte un super gentil…

Le fait est qu’en critiquant avec précision les HSBC, on répand leurs idées, et on permet leur diffusion. Pire, même, puisque cette diffusion est souvent déformée par la perception et l’imaginaire des acteurs des interactions, ce qui fait muter les idées et permet l’émergence de leurs archétypes les plus simples et donc les plus efficaces pour la reproduction dans le pool mémique. On retient beaucoup plus un archétype simpliste, même s’il est un homme de paille, que les idées réelles des acteurs avec toutes leurs nuances de gris, qui ne résiste pas aux mécanismes de téléphone arabe. 

Faire un homme de paille est donc contre productif, tant pour un « HSBC » que pour un « SJW » (Social Justice Warrior, ce qui est la manière péjorative de qualifier un militant des luttes sociales dans les débats à ce sujet.) Non seulement cela est stérile car chacun repart avec les mêmes idées sans avoir beaucoup évolué au contact de l’autre, mais en plus, critiquer des idées sans les comprendre ne fait que contribuer à les propager alors même que l’intention était de les faire disparaître. C’est tout à fait vain.

A ce propos, beaucoup d’auteurs et d’anciens philosophes ne nous sont aujourd’hui connus que parce qu’ils ont été critiqués. Par exemple quand Platon critique Épicure, cela laisse des traces jusqu’à nos jours parce que Platon a toujours été bien vu même par l’église (vu qu’il est dualiste), et c’est tant mieux, puisque la quasi totalité des écrits d’Épicure ont été détruits (en dehors de trois lettres). Ainsi l’essentiel de ce que l’on sait de la philosophie d’Épicure est arrivé jusqu’à nous grâce aux critiques qu’en faisait Platon. S’il avait su que grâce à lui ses adversaires nous seraient mieux connus…

 

L’émotion au service du processus de réplication

L’être humain ressent une vaste gammes d’émotions secondaires, quand bien même elles seraient le résultat d’un mixages des émotions primaires d’Eckman:
Joie, tristesse, colère, surprise, dégoût, peur.

Et l’on sait que les émotions sont étroitement liées à la mémoire. C’est la raison pour laquelle les premiers souvenirs d’enfance sons systématiquement des souvenirs associés à des émotions fortes (peu importe quelle émotion. Ce peut être une sensation de chaleur dans un lien avec la mère, ou bien la peur qui suit un cauchemar…). Les autres souvenirs ont été zappés, parce que les événements n’étaient pas associés à des émotions aussi intenses.

La raison pour laquelle les événements associés à des émotions sont mieux retenus, c’est un truc purement physiologique de l’ordre du « la boucle électrochimique dans le système limbique a lieu un nombre plus importants de fois lors d’une émotion forte, ainsi l’encodage du souvenir se fait de manière plus marquée dans le cortex », mais j’avoue que j’ai la flemme de ressortir mes cours de neuro pour retrouver l’info exacte. Et peu importe ici n_n

Le truc à retenir est simple: plus l’émotion est intense, mieux l’idée sera mémorisée par un sujet, qui sera alors davantage à même de la diffuser à son tour. C’est en cela que les émotions sont au service de la diffusion mémétique. Et à ce propos, la haine est généralement une émotion assez intense, et donc, assez efficace pour diffuser des mèmes par imitation…

Le raptor dissident: Schadenfreude cathartique

Au départ, je voulais uniquement parler de Suicide social dans cet article, mais je me suis rendu compte que ce que je ressentais vis à vis des vidéos du Raptor Dissident relevaient de la même mécanique émotionnelle.
J’ai beau ne pas partager les idées politiques du raptor, j’avoue avoir retiré un certain plaisir de chacune de ses vidéos. Même quand il critique les gens que j’apprécie, parce que je peux admettre d’autres angles de vue que celui de ses vidéos ou de sa personne.

Comme l’explique Léo dans sa vidéo, le schadenfreude est une émotion de « joie malsaine devant le spectacle de la misère d’autrui ». Autrement dit, c’est une joie à ressentir de la haine. Exactement comme la musique d’Orensan que je chante en voiture.

J’apprécie Dany, le fondateur de Solitude(s), mais ca m’amuse néanmoins quand le raptor le traite de pédant chiant à mourir avec ses bouquins et ses concepts philosophiques à la con. Déjà parce que c’est pas faux, et puis ca se veut plutôt léger comme critique: il s’attaque au travail de Dany et à sa tronche, ca ne porte pas vraiment à conséquence. Contrairement à ce qu’il a balancé à la face de Matthieu Sommet, ce qui a visiblement mis ce dernier en PLS pendant 1 an et lui a fait arrêter Youtube pendant cette période. Et vu sa tête à son retour, je crois qu’il a toujours pas digéré, bref.
La haine du raptor peut sembler à priori sans conséquence, à condition que ses cibles aient les épaules pour encaisser la bêtise cristallisée autour de la communauté du raptor qui va aboyer comme une meute de chiens de chasse autour de sa proie. Et on sait que le harcèlement en ligne, ca fait se suicider des gens. 

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Si le raptor m’amuse c’est, comme avec le personnage d’Orelsan, parce que lui et moi appartenons sensiblement à la même catégorie sociale, et donc soumise aux mêmes conditionnements d’HSBC de classe moyenne et de la génération Y. Il m’est donc très facile de me relier à lui, à ses valeurs et à son point de vue, même si je ne le partage pas.
Il y a quelque chose de jubilatoire à voir des gens se faire défoncer la gueule par le raptor, même les gens qu’on aime, voir même soi-même, pour peu que l’on parvienne à se décentrer de sa propre perception pour voir les choses depuis l’angle de vue du raptor pendant le temps de la vidéo.

D’ailleurs, je tiens à ne pas être injustement critique pour parler du raptor en tant qu’être humain: Lui même se considère comme un « personnage fictif » dans ses vidéos haineuses. Et même si ce personnage du raptor est un connard assumé (il le dit lui même sur ce qui est écrit dans la vidéo à cette séquence) ca ne signifie pas que l’être humain qui l’a conçu le soit, lui, et dont on ignore a peu près tout à part qu’il est musclé et politisé. Mais nous reviendront un peu après sur le désir mimétique auquel s’efforcent visiblement de correspondre le raptor et Valek, à en croire leur coaching pour sculpter des corps.

 

Contre la diabolisation du raptor dissident: L’affaire #Usulgate

« Malheur à moi! Je suis une nuance… » Nietzsche

Depuis le début de l’affaire Usulgate, est mis en avant un clivage net entre « la fachosphère » et Usul, avec l’idée en gros que Usul serait le gauchiste militant opposé aux fachos (Soral, Raptor, FN). Selon ce schéma dualiste ou Usul est le gentil et la fachosphère sont les méchants qu’il combat dans ses vidéos, la fachosphère des youtbeurs d’extrême droite auraient appelé à la haine d’Usul et de Ollymplum, sa copine, après avoir découvert la vidéo sur pornhub. Et bien évidemment, la première cible de ces accusations devient immédiatement le raptor dissident, puisqu’il a déjà été au centre de polémiques de ce genre, tant avec l’affaire de Marion Séclin qu’avec celle de Guillelm.

Mais la réalité, comme toujours, est dans la nuance et beaucoup plus complexe que ces clivages simplistes visant à se construire avec le moins d’efforts intellectuels possible une représentation de la réalité.
Le raptor n’a jamais appelé à la haine d’Usul ni de sa copine, d’ailleurs dans le live, il demande même le contraire, de leur foutre la paix à tous les deux.

Ainsi, non seulement dresser un homme de paille du raptor n’est pas pertinent puisque cela instaure un flou, véhicule de fausses informations, mais en plus cela « fait de la pub » au raptor, propagée avant tout par ses adversaires politiques direct, dont Usul fait en effet partie.

Contre le fixisme du langage chacal vis à vis d’Orelsan

« Errare humanitatis, persevare diabolicium »

Beaucoup de gens s’insurgent du prix qu’a remporté Orelsan aux victoires de la musique, parce qu’ils l’ont catégorisé dans la catégorie des connards sexistes misogyne depuis une décennie, l’époque ou il a écrit « Sale pute ». 
Cette catérogisation vient de ce que les gens ont attribué à l’auteur de ces textes les idées et croyances des personnages qu’ils mettent en scène.
Pour cette raison, il a d’ailleurs été mis en procès à plusieurs reprises, mais il les a toujours gagnés pour cette raison (certes un peu facile) qui est que ce sont des personnages qui véhiculent des clichés, et non ce qu’il pense, lui, en tant que personne):

C’est vrai que l’argument est un peu facile et n’excuse pas tout, comme l’explique Usul dans une vidéo ou il met Minute Papillon en PLS chronique, puisque même un personnage a une influence sur le pool mémique de ceux qui sont exposés à la chanson ou la vidéo.

Toutefois, la personne qu’est Orelsan évolue en permanence, et il convient de laisser notre compréhension de l’individu dynamique qu’il est évoluer également, en acceptant de modifier nos représentations à son sujet, de ne pas le mettre et le laisser dans une case. Car les cases ne correspondent pas à la réalité, ce ne sont que des idées.
Orelsan en a terminé avec la complaisance dans la médiocrité infantile, et c’est précisément ce que symbolise son dernier album.

« Je voulais écrire pour les haineux, mais je vais faire mieux: écrire pour ceux qui m’aiment, eux. »

Quand bien même Orelsan a été un connard par le passé à travers ses textes et ses intentions, cela n’en fait pas quelqu’un qu’on peut mettre dans une case. Les gens évoluent, font des erreurs, apprennent de ces erreurs, et peuvent devenir singulièrement différent.

C’est tout le propos de Tatiana d’ailleurs: cessons de mettre des gens dans des cases, car ces cases sont des réductions de la réalité, et donc elles sont des mensonges, des illusions de l’imaginaire.

Pour toutes ces raisons, moi je trouve ca cool qu’Orelsan ait été récompensé. L’exemplarité paie. Assumer ses erreurs, faire preuve d’humilité, consentir à ce qui est paie, et crée un profond apaisement dont il semble commencer à faire l’expérience…

 

Le désir mimétique

« Ni rire ni pleurer, mais comprendre » Spinoza (parait-il)

Il semble que contrairement à Orelsan qui explique vouloir prendre ses responsabilités et écrire pour les gens qui l’aiment plutôt que pour les haineux, le raptor ait encore besoin de distiller de la haine et d’en jubiler avec son groupe d’appartenance issu du forum 18-25.
Ceci étant dit, c’est loin d’être un phénomène marginal, et le problème de la violence relationnelle n’a jamais été un individu, le raptor ou un autre. Le problème ce sont les idées elles-mêmes, et la violence qui les accompagne. Ces idées, que j’appelle personnellement des mèmes, se regroupent en mèmeplexes (que l’on peut aussi appeler des « moi » qui se vivent subjectivement en tant qu’unités cohérentes), et ce sont ces mèmemplexes, sculptés par l’expérience pour gagner en efficacité de réplication, qui propagent ensuite la violence et la haine comme un cristal polarise peu à peu toute une pierre qui refroidit, jusqu’a produire une roche. Propagation d’autant plus efficace qu’elle a lieu auprès d’esprits peu portés sur l’hygiène mentale, c’est à dire n’ayant pas développée leur autodéfense intellectuelle pour se protéger des mèmes pathogènes.

Et à propos de cette diffusion des idées, elle semble constituer un chaos organisé, c’est à dire une organisation précise de la matière à partir du chaos originel. Ainsi, les acteurs du jeu semblent chercher à correspondre à des archétypes qu’il est possible de décrire par inférences statistiques (par exemple, l’archétype de l’homme ou de la femme en tant qu’ensemble de stéréotypes plus ou moins intuitivement saisissables par inférences). La sélection naturelle à favorisé les meilleurs imitateurs, et ainsi ceux qui prennent l’avantage sont ceux qui sont le plus doué pour correspondre, par imitation, à cet archétype idéel qui est visé comme objectif en soi. 

C’est ce qu’on peut appeler le désir mimétique, qui est un concept inventé par René Girard. C’est par exemple une des explications avancée par ce dernier pour expliquer les mécanismes en jeu dans l’anorexie mentale, mais qui peut s’appliquer à de nombreuses autres névroses sociétales, et que l’on peut appliquer ici dans le cas du raptor dissident.

Depuis quelques années, de nombreux jeunes (HSBC de droite surtout, mais pas que) vont à la salle de musculation, bouffent de la whei, écoutent du son avec de lourdes basses, roulent vite et s’amusent à faire des courses entre eux. A partir de cette observation, on peut commencer à intuiter les contours d’un archétype vers lequel tendent tous ces mèmeplexes par imitation.  C’est un phénomène qui n’existait pas du tout jusqu’à il y a encore peu de temps, ou pas à ce niveau d’intensité.  Ils veulent tous devenir la même personne, et sont en compétition implicite pour atteindre cet idéal inaccessible.
Et mon point de vue, qui n’est que le point de vue d’un HSBC non politisé, mais qui est intéressé par le fait de comprendre les mécanismes émotionnels qui structure les esprits des gens, c’est que le raptor dissident est lui-même en compétition pour atteindre cet archétype du mâle viril, puissant, intelligent et courageux, qui sait se défendre et faire face à toute une armée d’adversaires qu’il met chacun leur tour en PLS, comme un spartiate. 

Bon, après, je ne suis pas du tout un expert du désir mimétique de rené Girard, et le bouquin que j’avais lu de lui date de quelques années, je préfère donc m’arrêter ici pour le moment, quitte à y revenir plus tard plus en détails, puisque cela me semble fort intéressant à développer.

Pour finir, j’aurai aimé proposer une piste pour sortir du perpétuel processus de guerre de tranchés qui consiste à opposer les SJW et les HSBC, et ce de manière totalement stérile puisque les deux systèmes de croyance se renforcent mutuellement. Quand une thèse et une antithèse s’opposent, il convient de rechercher les présupposés qui sous tendent le désaccord, afin de pouvoir partir sur une base commune et élaborer à partir de cela une synthèse qui englobe les deux paradigmes dans un troisième plus complexe. C’est ainsi que l’on avance, mais encore faut-il prendre le temps de se comprendre mutuellement. C’est la qu’intervient le bon sens.

De l’usage du bon sens cartésien et de la vanité des débats

Pour conclure cet article déjà fort long, je tenais à proposer une piste de réflexion qui s’apparente à une solution au problème de la haine dans les débats politiques. Il s’agit de la distinction entre une position et une posture lors d’une conversation. Je m’appuie à ce sujet sur la vidéo du brillant In deserto (qui est sans conteste mon youtubeur de philosophie préféré sur le Youtube francophone, de par la profondeur de sa pensée qui fait de lui tout sauf un perroquer à réciter wikipédia, comme pouvait l’être en son temps le coup de phil’ (pour ne citer que lui).

Une position c’est en gros une opinion, un point de vue que l’on a sur le monde. Une posture, c’est un camp que l’on défend dans le cadre d’un débat, quand bien même on aurait tort, et ce pour des motifs qui ne sont pas rationnels. La posture, c’est ce qu’on adopte quand il n’est pas envisageable pour nous de questionner les fondations de notre paradigme, et donc potentiellement d’en changer. 

« Il est très difficile de distinguer pour soi-même la position de la posture », c’est à dire qu’il est difficile de prendre conscience de ses propres aliénations intellectuelles. Ce pourquoi il convient de faire preuve de prudence, et de ne pas considérer a priori que l’on a raison et que l’autre à tort, si on a envie d’avoir un échange qui soit enrichissant. Il est préférable de s’intéresser à l’autre, de se laisser enrichir par l’autre, son expérience et sa subjectivité.

On distingue selon moi une conversation d’un débat en ceci que dans une conversation on s’intéresse réellement à la position de l’autre et à sa légitimité, fut-elle subjective. Dans un débat, au contraire, on cherche à rallier l’autre à notre point de vue, à le convaincre. Une conversation ne cherche pas à convaincre l’autre que l’on a raison, mais vise plutôt à travailler ensemble à comprendre ce qui est. 

Cela commence d’après moi par transcender le monde de l’imaginaire et ses projections illusoires, pour entrer dans le monde de la relation authentique. C’est donc la fin des hommes de paille, et il convient de s’assurer que l’on comprend bien ce que l’autre veut dire avant de juger de ce qu’il dit. Ce n’est ni plus ni moins que faire usage du bon sens selon Descartes:

« Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée […] car la puissance de bien juger, et de distinguer le vrai d’avec le faux, qui est proprement ce qu’on nomme le bon sens ou la raison, est naturellement égale en tous les hommes; et ainsi que la diversité de nos opinions ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies, et ne considérons pas les mêmes choses. Car ce n’est pas assez d’avoir l’esprit bon, le principal est de l’appliquer bien. »

Autrement dit: Si l’on fait l’effort de prêter attention aux mêmes choses, de considérer les mêmes éléments pour comprendre une situation, il y a fort à parier qu’on arrive assez facilement à tomber d’accord. L’observation sans jugement est, par ailleurs, la première étape du processus de la communication non-violente…

7 commentaires sur “Les émotions sont le carburant de la diffusion mémétique. Exemple de la haine: Suicide social d’Orelsan et le Raptor Dissident

  1. Première remarque en visionnant la vidéo d’Usul sur la lutte des classes: son interprétation des statistiques de redoublement du CE1 me semble pour le moins orientée et fausse.
    « A notes égales au CE1, les enfants d’ouvriers redoublent plus que les enfants de cadres ». De mon expérience, c’est vrai. En partie parce que ce sont les parents qui décident de suivre ou non les propositions de l’école et que les familles de classe moyenne ou de cadres ont plus de mal que les familles d’ouvrier à accepter le redoublement pour leur enfant.
    Mais le bloggeur évoque les stats concernant le passage du CE1 au CE2 et il en déduit que cela prouve que les classes populaires seront plus orientées vers des filières pourries au lycée. Il suggère donc que le redoublement du CE1 est la première étape vers une éjection lente du système scolaire. Je ne comprends pas ce raccourci: un enfant de cadre qui passe au CE2 sans avoir le niveau reste un enfant en difficulté scolaire et un enfant d’ouvrier qui redouble son CE1 obtient une année supplémentaire pour se mettre à niveau. J’aurais plutôt tendance à penser que c’est l’enfant d’ouvrier qui est favorisé dans le processus et pas l’inverse comme le conclue le bloggeur.

    1. Effectivement, il semble qu’Usul fasse ici un raccourci trop rapide entre deux constats: 1) Les fils d’ouvriers redoublent plus que les fils de cadre 2) les fils d’ouvriers vont moins à la fac que les fils de cadre.

      Et si on considère le redoublement comme l’occasion pour l’enfant de rattraper son retard par rapport aux attentes de la classe suivante,
      si le redoublement permet en effet de rattraper un tel retard,
      et si passer à la classe supérieure avec des lacunes fait que les difficultés s’additionnent par la suite,
      Alors oui, ici ce sont les enfants d’ouvriers qui sont avantagés par le système.

      Mais du coup, moi qui ne connait que très mal ce système, je me demande:
      – Est-ce que les enfants de cadre qui ne redoublent pas en CE1 sont plus en difficultés que les autres par la suite, et ne vont pas à la fac?
      – Est-ce que les enfants d’ouvriers qui redoublent sont moins en difficultés que les autres par la suite, et vont-ils à la fac?

      La réponse se trouve quelque part sur Google… mais j’ai des muffins trois chocolat à préparer pour ce soir…

  2. Ouh là mais tu as rien compris à la chanson d’Orelsan en fait ! Je vois bien que tu as passé super longtemps à l’analyser aussi ça me gêne un peu de te le dire cash comme ça mais l’analyse de classe sociale de la chanson tu n’y est pas du tout !
    C’est une chanson profondément, complètement et totalement anticapitaliste qui raconte l’histoire d’un employé de bureau dépressif qui pête un câble et envoie tout valser avant de se tuer (dans le même style il y a la chanson de Fauve «Sainte Anne»).
    Pour avoir connu des gens qui m’ont dit qu’Orelsan est plutôt populaire en hp j’aurais tendance à penser qu’il est un minimum populaire dans les franges les plus opprimées de la population (genre les Noir·e·s prolétaires pas valides que constitue l’écrasante majorité des patient·e·s d’hp) et plus largement chez les prolétaires au vu de certaines de ses chansons à 47 millions de vues.
    Si tu veux employer un terme pour définir une personne hyper dominante emploie plutôt HoRiBlVaCiHé (homme riche/bourgeois blanc valide cis hét, il manque dyadique), c’est pas parfait mais ça contient plus de systèmes de dominations et ça vient pas de l’anglais marketing.
    «Dès lors, on comprend mieux le succès de Suicide Social en occident» ben en fait c’est une chanson anticapitaliste en français, ça explique juste son succès parmi le prolétariat francophone…
    Le «mépris de classe» envers les bourgeois c’est surtout une critique du système capitaliste, les extraits cités parlent beaucoup des bourgeois qui suicident des ouvriers, les exploitent pour de la thune, possèdent les 3/4 des richesses du globe et détruisent tout sur leur passage («donne leur l’Eden ils t’en font un enfer»).
    Certains passages cités dans «haine du prolétariat» sont en réalité très ironiques :
    «Adieu les ouvriers, ces produits périmés. C’est la loi du marché, mon pote, t’es bon qu’à te faire virer.»
    Ce passage passe d’un «il» généraliste au «tu» ce qui donne l’impression qu’il cite une phrase qu’on lui a dite et il y a un décalage avec le ton anticapitaliste du reste de la chanson et ce décalage crée une ironie, accentuée par l’expression «mon pote» qui indique une certaine solidarité de la part du chanteur envers l’ouvrier qui s’est fait licencier. Ça signifie «il y en a marre qu’on me dise que je suis un produit périmé, que c’est la loi du marché, que je suis bon qu’à me faire virer, vas y je me suicide» (d’où le «adieu»). C’est un hommage aux ouvriers suicidés en fait.
    Parmi les autres passages cités il y en a quelques uns comme la critique de la france profonde ou des flics qui sont des thèmes récurrents dans le rap (cf la chanson «Ma France à moi» de Diam’s ou la chanson «Hey flic» de Kenny Arkana)
    Dans la partie «identification à la classe moyenne avec ses petits problèmes», outre la notion de «classe moyenne» qui est très dépolitisante (comment tu définis «classe moyenne» ? est-ce que dedans tu mets la petite bourgeoisie culturelle genre profs/artistes/journalistes ? les métis de classe ? les déclassés ? les parvenus ? les prolétaires tellement aliénés qu’ils ne veulent pas être identifiés au prolétariat ? les bourges qui se pensent de gauche ? etc, c’est un peu fourre-tout) il y a plusieurs aspects anticapitalistes qui ont l’air de t’avoir échappé.
    Dans les passages que tu as cités il critique respectivement l’état et l’administration, l’appropriation des luttes anticapitalistes par les petits-bourgeois (artistes), la morale et la religion.
    Quant aux jeunes moyens il les dit les «pires de tous» donc bon je pense pas qu’il s’y identifie vraiment.
    Sur la «haine de la gauche» et la «transphobie et hétéronormativité» il ne s’agit pas du tout de ça, sinon il ne donnerait pas autant dans la critique anticapitaliste, la critique de la religion ou la critique de l’extrême droite, il s’agit d’une haine d’une certaine vision de la gauche, et plus spécifiquement des milieux féministes et LGBT bourgeois (genre les queers) qu’il semble très bien connaître et dont il semble s’être éloigné assez violemment.
    Sa critique de ces milieux est extrêmement pertinente même si elle se teinte de misogynie (pour le coup il est clairement misogyne et de façon assumée) et d’un léger cissexisme (si j’ai bien compris la syntaxe de la phrase «Ça t’empêchera d’engraisser ta gamine affreuse, qui se fera sauter par un pompier qui va finir coiffeuse» et que c’est le pompier qui finit coiffeuse, après c’était peut-être juste la gamine affreuse qui finit coiffeuse).
    J’ai pas été plus loin dans la lecture de l’article, désolé.

  3. Je te remercie pour ton commentaire, qui met en lumière certaines lacunes dans ce que j’ai dit dans mon article, ce qui me permet de corriger mes erreurs à partir de tes remarques.
    C’est vrai que je me suis assez peu attardé sur le détail de l’analyse des classes, puisque le coeur de mon propos était le rôle des émotions dans la diffusion des idées (mais qui quelque part est lui même abordé assez superficiellement à bien y regarder). En fait, c’est avec les retours tels que le tien que ma pensée se construit de manière plus solide, dans la dialectique.

    Je savais déjà que la chanson était écrite du point de vue d’un employé de bureau dépressif, et en effet, c’est proche de Sainte Anne de Fauve, que je pourrai mentionner dans cet article d’ailleurs, car on est dans la même dynamique de la haine en tant que carburant.
    Elle est anticapitaliste, et c’est vrai que je ne le dis pas explicitement dans mon article si ce n’est à travers la haine de la bourgeoisie.

    « j’aurais tendance à penser qu’il est un minimum populaire dans les franges les plus opprimées de la population […] et plus largement chez les prolétaires »

    Je suis d’accord, sa chanson traduit une haine explicite des classes « possédantes » et il semble donc naturel que ces dernières aient du mal à apprécier ses chansons. Mais sa chanson met également en évidence une haine explicite des pauvres (« clochards tous ces tas de déchets »), des malades mentaux (« adieu tous ces profs dépressifs, t’as raté ta propre vie comment tu comptes élever mes fils? »).
    Ces franges opprimées de la population, ces prolétaires qui apprécient le texte d’Orelsan sont aussi peut-être des gens qui ont intégré la haine de soi comme une norme, comme dans ces expériences sur les enfants noirs qui considèrent que les « gentilles poupées » sont blanches et que les « méchantes » ont la peau noire.
    Malgré leur mépris de classe, les franges opprimés ont néanmoins souvent assimilé la structure de sens propagée par le système… avec tout le racisme, le validisme, le sexisme et tous les autres trucs en isme implicites que cela suppose.

    ***
    « «mon pote» qui indique une certaine solidarité de la part du chanteur envers l’ouvrier qui s’est fait licencier. Ça signifie «il y en a marre qu’on me dise que je suis un produit périmé, que c’est la loi du marché, que je suis bon qu’à me faire virer, vas y je me suicide» (d’où le «adieu»). C’est un hommage aux ouvriers suicidés en fait. »

    Tu as raison, ce passage aurait peut-être davantage sa place dans la partie sur la haine de la bourgeoisie. Je suis d’accord avec le ton ironique, encore que je vois mal la solidarité dans la suite « ca t’empêchera d’engraisser ta gamine affreuse qui se fera sauter par un pompier et qui va finir coiffeuse ». (Et j’imagine mal les femmes prolétaires apprécier ce passage de la chanson d’ailleurs)

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    « comment tu définis «classe moyenne» ? c’est un peu fourre-tout »

    Je suis d’accord, le terme de « classe moyenne » est un terme fourre tout, c’est le propos d’Usul dans la vidéo que j’ai mise en lien, et c’est la raison pour laquelle je ne la définis pas: ca serait aussi absurde que de définir la différence entre un tas de cailloux et une pile de cailloux. La frontière serait arbitraire et pour moi quand il y a de l’arbitraire il y a de l’ignorance complaisante. Je pourrai éventuellement éditer l’article en abortant ce point plus en détails, tu as raison.

    ***

    « Quant aux jeunes moyens il les dit les «pires de tous» donc bon je pense pas qu’il s’y identifie vraiment. »

    Et pourtant, il explique bien dans une interview qu’il a supprimé un couplet dans cette chanson ou il dit qu’il reconnait dans tous ces gens dont il parle une partie de lui même, pour boucler la boucle avec la haine de soi. Evidemment, quand je parle de sa strophe sur les jeunes moyens, c’est juste mon interprétation. Mais ca me semble cohérent. Les jeunes moyens, c’est un peu tout le monde. C’est les 42 millions de gens qui ont aimé « Basique », les gens « trop sensibles » (il se revendique lui même « trop sensible », et qu’il « vit tout comme une agression » dans son nouvel album, chanson « notes pour trop tard »)

    ***

    « Sur la «haine de la gauche» et la «transphobie et hétéronormativité» il ne s’agit pas du tout de ça, sinon il ne donnerait pas autant dans la critique anticapitaliste, la critique de la religion ou la critique de l’extrême droite, il s’agit d’une haine d’une certaine vision de la gauche, et plus spécifiquement des milieux féministes et LGBT bourgeois (genre les queers) qu’il semble très bien connaître et dont il semble s’être éloigné assez violemment.
    Sa critique de ces milieux est extrêmement pertinente même si elle se teinte de misogynie (pour le coup il est clairement misogyne et de façon assumée) et d’un léger cissexisme (si j’ai bien compris la syntaxe de la phrase «Ça t’empêchera d’engraisser ta gamine affreuse, qui se fera sauter par un pompier qui va finir coiffeuse» et que c’est le pompier qui finit coiffeuse, après c’était peut-être juste la gamine affreuse qui finit coiffeuse).
    J’ai pas été plus loin dans la lecture de l’article, désolé. »

    Pour le coup je me demande si tu as des sources pour justifier cette interprétation? (Tant pour l’explication sur la critique des milieux LGBT que pour l’interprétation de la synthaxe ou c’est le pompier qui finit coiffeuse)
    Du reste, on peut parfaitement avoir des idées judéo-chrétiennes d’extrême droite et se croire de gauche. Rien que dans mes proches, je connais des gens qui sont contre l’immigration et l’homosexualité (parlons même pas de la transidentité), alors qu’ils ont voté Hollande en 2012.
    J’ai du mal à voir ou Orelsan fait une distinction entre « milieu LGBT bourgeois » et un autre milieu qui serait mieux vu par la communauté en général. Mais j’ai pas approfondi cette partie du texte et donc je ne m’avance pas trop…

  4. Désolé j’avais pas lu ta réponse. Sur la critique des milieux LGBT j’ai pas d’autre source que le fait d’avoir côtoyé ces milieux et de les reconnaître très nettement. Sur la syntaxe j’ai dit «peut-être», j’en sais rien.
    Ouh là comment ça des idées judéo-chrétiennes ? ! Ce terme n’a aucun sens ! Le christianisme n’a pas plus d’emprunts au judaïsme et à la culture juive qu’au bouddhisme, au druidisme, à la culture hellénique, à la culture mésopotamienne, au zoroastrisme ou à la culture khémite, et a plus de points communs avec l’islam qu’avec le judaïsme.
    En vrai le milieu LGBT est bourge, cf mon article «critique de l’acronyme LGBTQIA+», tu peux utiliser la fonction recherche sur mon blog. Pas l’énergie de répondre au reste.

  5. « L’ennui étant qu’a entrer en confrontation directe avec un paradigme (ou structure de sens qui permet de se construire une représentation cohérente du monde), à critiquer directement les idées pour « donner tort », on ne fait qu’amplifier le processus de réplication du mèmeplexe. »
    J’ai parfois l’impression que l’opposition et que le sentiment de plaisir à la haine que tu décris servent à eux seuls à faire vivre une communauté. J’ai eu vent de certain(e)s anar militant(e)s pour qui la lutte n’avait plus de raison d’être si le camp d’en face cessait d’exister puisque la « justice » serait rétablie, le but final serait atteint. C’est une position, une posture souvent, je pense que ce n’est ni bien ni mal et je partage aussi, un peu, cette posture (le point de vue que je ne partage pas est celui qui tend à croire qu’il faut faire régner une morale et une justice universelle. Pour moi, seul Dieu en est capable et je il ne fait pas partie de mes croyances. Par contre c’est assez amusant pour moi de voir la justice de l’Etat se prendre pour Dieu sans y arriver). Mais du coup, par continuité, il est beaucoup plus facile de lutter contre que de lutter pour et une part de moi pense que, même s’il est important de lutter contre parfois, il est dommage de baser ses convictions sur une opposition. J’aurai bien aimé que tu développes la facilité du contre par rapport au contre et que tu dises pourquoi le plaisir de la haine est aussi attractif par rapport à l’empathie et d’où il vient (tu l’as expliqué dans la partie sur le pool mémétique à la fin mais je me demande ce qu’il en est d’un point de vue cognitif ou neuronal, même si je me doute que le système 1 y est pour quelque chose). Tu penses faire un article là dessus ? 🙂 tu n’es pas obligé, bien sûr.
    En dehors de cela, je crois qu’il s’agit d’un de mes articles préférés

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